Quand je fais de la photographie, j'aime me sentir au seuil du paysage. C'est à cet endroit précis, à l'orée, que je suis au plus près de la nature des choses.
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Dans le mois de novembre le plus gris, le plus mort, si on regarde bien mais vraiment bien, on voit fleurir les teintes les plus flamboyantes de la fadeur. C'est le spectacle le plus magnifique que je connaisse mais, il faut bien regarder car, la fadeur c'est à une année lumière des "spotlights".
J'ai une vision de l'enfant qui observe le mouvement du mobile de son berceau. Ça doit débuter ainsi, à l'horizontale, la myriade de chemins miroirs qui s'agitent verticalement au-dessus de nous, une montagne de carrefours giratoires. Toutes ses possibilités infinis à cul de sac pour cause du temps compté.
Le sens du mot mobile à quant à lui, été remplacé par un système d’exploitation informatique; le monde n'a jamais été aussi fixe, autant rivé devant des miroirs; nos cerveaux fonctionnant maintenant à mobiles et à vapeur. Kaʻula O Keahi! Rougeoiement Du Feu, La Mangeuse De Terre Avance Mais, Qui S'en Soucie ? La Toile Est Une Fissure Qui S'ouvre Le Temps De L'« Œuvrement », Après, Si L'on Tarde Trop, S'ensuit Le Règne Hermétique Du Basalte.
Le mouvement d'opposition le plus puissant chez l'artiste se situe dans le "faire" et dans le "ne pas faire". Entre ses deux forces résident toutes ses tendresses et ses fragilités; des gris pour l'hiver, des fauves pour l'été, des bancs de silence, des écharpes de nébulosité. Et si les résistances étaient les mouvant de ses vitalités; ses abandons, des expires? Entre les absolus désirs se niche la vie, dans les pôles, son écho magnifié.
Ce matin, le gris avale toute lumière. Il faudra le reflet de l'eau sur les choses pour rehausser les teintes terreuses de novembre, le chatoiement des larmes d'automne. Les citrouilles fanées se désagrègent sur les perrons narguant les feuilles mortes, les rues désertiques redonnent le pouvoir des forêts inhabitées.
Il n'y a pas de descente en soi à deux. Voir c'est une plongée que l'on fait seul. La création se fait en partie pour échapper à cela, dans un désir de partage et puis, inévitablement en repassant par cette fuite motrice nous en ressortons avec des fragments d'une même histoire. Le conte de notre voir. Une vie.
Il y a deux automnes, celui de sa naissance et celui de sa mort. De sa jeunesse pimpante et criarde, je lui préfère la richesse mourante de ses couleurs tertiaires. Nul doute, de l'or vieillit au vert de gris mousseux, la saison de novembre est un drageoir à épices.
Dans l'abstraction, il faut se méfier des zones qui éveillent des émotions tendres. Souvent ces mêmes parcelle serviront de sacrifices pour faire avancer la toile. Schlack! Il faut demeurer prêt à tuer toutes structures du tableau. Garder à l'horizon de notre cervelle, le spectre de la seizième arcane majeur du tarot de Marseille. Peindre, s'est octroyer à la main le pouvoir de Dieu et le culot du diable. Déambuler dans des absolus.
Le noir et le blanc, parfois ce sont des couleurs ou non. Parfois des mondes bien à part. Bien souvent, deux dieux majeures du panthéon de la lumière.
Il fait encore nuit. Les voitures ont recommencé leurs valses de roulis roulant, annonçant le retour de la marée humaine. Je n'ai jamais comprise comment un noir de quatre heures du matin pouvait être plus clair qu'un noir du soir. Il est plus vivifiant, remplit d'espoir et de possibilités. Ce noir a du temps devant lui, il n'est pas à la fin de sa vie.
Il y a une zone dans le vide qui ne peut que se répondre par la peinture. Un endroit où il n'y a plus d'images, de sons, ni de mot. C'est le milieu d'un désert où personne ne peut sortir. Ce n'est pas un labyrinthe, mais une étendue de sable sous un soleil de plomb. On y suffoque sans eau. Sans personne. Rien. Tracer des lignes dans le sable ou le ciment, devient votre unique chance de passer ce temps.
L'onde. On parle d'elle comme d'une perturbation qui se propage dans un milieu sans modifier sa structure de façon permanente. Sans changer en somme les propriétés du lieu. Il est donc question d'un saisissement dans le temps. Je me demande si, elle ne serait pas des tréfonds de l'invisible, la mesure visible de sa présence.
Parfois la pluie n'est que promesse pour écouter une mélodie sans mot. Le silence des temps nuageux. Il y a des tristesses comme des joies, des trous dans le ciel qui ne prédisent aucunement leurs couleurs ou leurs formes.
L'empreinte de l'humain est partout. En ville, c'est de l'ordre de l'insupportable. Son énergie qu'il épand dans la matière me sidère. Peu importe où je regarde il y a l'homme, puis le trajet de son absence au monde.
Les histoires de corps, les histoires de cœurs et leurs pérennités. Il y a toujours la mémoire, le temps et le désir dans chacune. Un genre de trinité immuable. L'amour, c'est ce qui ne cesse jamais, c'est une ligne vers l'infini à l'image de l'âme.
L'hiver c'est fait pour le tissage des mots qui dansent au son d'une petite chaufferette électrique.
Avant la peinture, il y avait l'écriture. Longtemps, tous les jours, pendant plus de dix ans. À mon arrivée dans l'île de béton, la voix d'écriture s'est pointée un soir pendant que j'étais dans cette étrange salle de bain de la rue Saint-Laurent, dans ce lieu qui ne ressemblait à rien. Ma voix a dit une question claire et précise. « Est-ce plus facile quand il y a l'amour? » Je sais encore le ton, le débit, le velours à mon oreille. Ce n'est pas une expérience que l'on oublie que celle d'une voix à soi, qui entre sans cogner et que l'on ne connait pas. C'est foudroyant et l'on ne s'en remet pas.
Les mots ont un sens pour chaque personne, à partir de l'expérience. Le langage signé m'a démontré que les mots ont de sens que s'ils sont vécus dans le corps, ancrés dans l'expression, sinon ils ne sont que du vent. C'est pourquoi la danse est selon mon vécu, la première langue fondamentale.
Dans chaque œuvre, il y a une fracture qui avale ou qui recrache la lumière, de cette zone systémique se tissera l’histoire picturale.
L’abstraction, une intuition mathématique qui chante. La ligne possède cette scission qui fait vibrer celle qui la longe, elle met en œuvre picturalement tout chant harmonique. Il n’y a que dans la fragilité de la déchirure que naissent les énergies et leurs puissances d’ondes.
Il y a des lumières qui vibrent et transportent dans des souvenirs précis. Ce matin avec cette lumière abrupte, je me visualise dans un quartier de Londres que j'ai oubliée. Après la pluie, dans un début de mois de mai où j'avais deux semaines pour me trouver un boulot. Je ne parlais pas anglais et je commençais à me rendre compte que cette décision était un brin intrépide. Pour calmer l'angoisse, me suis mise à contempler le vert des arbres. La qualité de cette teinte émeraude sous mes rétines, je ne l'oublierai jamais. Comme tout souvenir enregistré dans un moment de présence totale à soi.
Le froid, toujours le froid et son feu. Une tisane d'ortie à la menthe. Le silence.
En habitant mon vide intersidéral, j'ai retrouvé les noms perdus de mes trois figures parentales. Naître pendant les feux de Beltaine n'a pas suffit, il a fallu être tissée avec « Ne parle pas », « Ne vois pas », « N'entends pas ». Mes origines japonaise ne font plus aucun doute maintenant. J'ai apprise sur Wiki qu'une des plus anciennes représentations connues de mon triangle familiale se trouve au Nikkō Tōshō-gū, l'un des sanctuaires et temples de Nikkō au Japon. Papa le muet, tantine l'aveugle et maman la sourde. Je ne «métaphorise» même pas. Réal n'utilisais jamais sa voix à cause des mauvais traitements reçu à l'école des sourds, ainsi naquit père Mizaru, celui qui ne parle pas. Huguette perdit la vue à cause d'une maladie dégénérative de l’œil, naquit tante Kikazaru, celle qui ne voit pas. Carmelle, mère Iwazaru perdit l'ouïe suite à une méningite, voilà pour la naissance de celle qui n'entend pas. Il m'a fallu dès l'arrivée dans ce monde comme beaucoup d'humains, pallier, combler puis relier des manques, des peurs et des incompréhensions. Les familles inaptes, c'est rien de nouveau. Ce qui explique possiblement pourquoi je me suis toujours refusée à suivre ce précepte facilitant du culte Kōshin que ma famille pratique encore allègrement qui est ne pas vouloir voir ce qui peut poser problème, ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque et ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire comme si on ne sait pas. Faire le contraire d'eux c'est ce qui faisait sens. J'ai donc beaucoup de respect pour l'audace de celui qui ose se dire, se voir et s'entendre. Ce qui fait sens pour écrire, photographier et peindre comme mécanique de sortie. De la sagesse tout cela? Nah! De la survie. J'ai longtemps tourné autour de la solitude comme si j'avais le monopole du vide intersidéral. C'était ainsi, un mouvement corporel génétique. Tourner autour d'un épicentre c'est le sens de la douleur. Et nous sommes construits sur un système de secondes qui s'agglutinent sur un cercle. Tic! Tac! Blanc! Noir! Nous avons en majorité, l'angoisse du sablier dans le bide maintenant, la panique intégrée.
L'homme est construit sur le système aliénant des horloges qui rendent fous. On ne peut s'approprier une vie que par le vol du temps. Les anniversaires n'ont jamais été des réjouissances de vie, mais de mort. Ratifier l'être dans l'un des trois âges de la vie en privant le vieillard de sa pureté, en interdisant à l'enfant sa maturité et démunissant l'adulte de sa sagesse. Le dogme du temps insupporte le mélange, les heures en trop ou les minutes en moins car, il se consacre à rentabiliser la raison. Le temps fige la vie et la douleur, sa sœur est son synonyme obsessionnel. La joie est selon mon expérience un mouvement ascensionnel, du bas vers le haut où la notion d'encadrement dans un délai ne fait aucun sens, où le temps n'existe pas. |